Écouter la passivité : émotions politisées en médiation culturelle

Mikaela Assolent

Mikaela Assolent est chargée des publics au Centre International d’Art et du Paysage – Île de Vassivière (France). Elle a obtenu un doctorat au sein de l’école doctorale « Féminisme, Politiques sexuelles, et Culture Visuelle » (Université de Loughborough, Royaume-Uni). En 2019-2020, elle a participé à osloBIENNALEN. Elle a travaillé au 49 Nord 6 Est – Frac Lorraine, à la Galerie des Galeries (Galeries Lafayette), au Palais de Tokyo et dans d’autres organisations artistiques en France. Elle est titulaire du master professionnel « L’art contemporain et son exposition » (Université Paris IV-Sorbonne) et d’un master en philosophie contemporaine (Université Paris X – Université de Colombie Britannique). 

La médiation culturelle[1] en France est souvent représentée, notamment sur les sites internet des organisations d’art contemporain ou dans leurs rapports d’activité, par des images du public en action. Il semblerait que, pour être réussie, la médiation culturelle ait besoin d’engager visiblement les corps des visiteur·euses. Le type de participation en jeu dans ces images s’appuie sur un dualisme implicite entre actif et passif. Participer équivaut à être actif. Être passif, à l’inverse, est dévalorisé. Ce dualisme peut être questionné par le biais d’outils féministes, car la notion de passivité a historiquement été codée comme féminine[2]. Je soutiens dans cet article que le privilège de ne rien faire dans les espaces d’art est accordé à certain·es : les visiteur·euses habituel·les du musée. En revanche, la passivité est connotée négativement pour d’autres : les visiteur·euses catégorisé·es comme non-habitué·e·s, perçu·e·s comme nécessitant les services de la médiation culturelle. 

La première partie de cet article analyse comment les institutions culturelles peuvent être amenées à se positionner comme structures libératrices envers certains publics ayant supposément besoin de leur intervention. Afin de contrer cette idée, une approche, qui pourrait être qualifiée d’égalitaire, affirme que les spectateur·rices sont toujours libres de développer leurs manières propres d’interpréter les œuvres d’art. Je démontre que cette perspective, qui revient à considérer que les publics sont toujours actifs, peut invisibiliser les dynamiques de pouvoir qui structurent les relations entre institutions, artistes, médiateur·ices culturel·les et publics.

Dans la deuxième partie, je m’appuie sur des textes d’autrices féministes qui non seulement proposent une analyse critique des sous-entendus moraux attachés aux positions jugées passives, mais conçoivent également la capacité d’agir de manière contextuelle. Je démontre que plutôt que de chercher à changer les individus perçus comme passifs, il s’agit de comprendre structurellement ce qui amène à une telle catégorisation et de transformer le contexte pédagogique et institutionnel en conséquence.

Dans la dernière partie, j’analyse ma propre pratique de médiatrice culturelle au Frac Lorraine en 2017-2018. Je recherche concrètement comment, dans l’ici et le maintenant de la médiation culturelle, les personnes privilégiées sont habilitées à participer. L’institution, les médiateur·rices mais aussi les participant·e·s qui incarnent une perspective sociale dominante orientent les discussions face aux œuvres d’art. Une compréhension de ce que j’appelle des émotions politisées permet de mettre à jour ces orientations spécifiques. Dans un contexte où les institutions continuent à ne pas prendre la mesure de leurs processus de marginalisation, je soutiens la nécessité de donner la possibilité aux publics de ne pas participer, tout en reconnaissant que ce retrait est accordé plus facilement aux personnes déjà avantagées dans le groupe. Je plaide également pour une revalorisation de la notion d’écoute qui prend en compte les capacités et volontés attentionnelles de chacun·e.

0. Positionnement méthodologique

La recherche présentée dans cet article est issue d’une pratique de terrain (practice-based research)[3]. Il convient d’en présenter les contours méthodologiques. Comment et à quelles fins une telle recherche est-elle menée ? Je développe cette recherche en tant que médiatrice au sein d’une institution culturelle publique. Je suis « praticienne chercheuse » dans le sens où je mène une recherche au travers de ma pratique et ceci dans le but d’améliorer celle-ci[4].  Une telle recherche débute par un sentiment de dissonance : des représentations du public (ici il s’agit notamment d’images utilisées pour communiquer sur l’institution) ne correspondent pas aux interactions réelles développées avec les visiteur·euses. Je m’adresse aux publics au sein d’un contexte plus large (porteur de ces représentations biaisées à leur encontre) qui nécessairement s’adresse également à eux et elles. Ma recherche porte donc à la fois sur ce contexte institutionnel ainsi que sur mes propres approches pédagogiques au sein de ce contexte. Que je le veuille ou non, en travaillant pour une institution, je suis porteuse d’une potentielle violence institutionnelle que ma propre pratique viendra moduler, en la tempérant et/ou en la renforçant.  

Les réflexions théoriques qui visent à analyser ce contexte institutionnel sont toujours indexées à la pratique éducative. C’est une spécificité de la recherche de terrain de toujours mettre la pratique éducative au centre. Les médiateur·rices sont porteur·euses d’un ensemble d’idées et de théories qu’iels internalisent et qui viennent influencer leurs interactions avec les publics. Ces idées sont transformées par et pour la pratique. Les médiateur·rices privilégient par exemple particulièrement les concepts qui se sont vérifiés dans leurs interactions avec les publics et qui pourront développer une pratique future. 

En tant que praticien·nes chercheur·euses, les médiateur·rices analysent ces aller-retours entre la théorie et la pratique. Ceci se fait de façon autoréflexive, car il s’agit de remettre en question des conceptions et préjugés personnels[5]. Dans cette optique, mon approche est enrichie d’une réflexion auto-ethnographique qui a pour but de visibiliser une perspective socialement située de travailleuse blanche cisgenre queer valide et de questionner comment ce positionnement travaille de concert et/ou en opposition avec les mécanismes excluants de l’institution[6]

Une recherche basée sur la pratique en médiation culturelle possède des moyens ainsi qu’un champ d’application très spécifiques. Les moyens de la recherche sont liés à la pratique, il est difficile par exemple de répondre à une question qui ne s’est jamais posée sur le terrain[7]. Les modes de recherche sont également intrinsèques à la pratique. Il s’agit de mener la recherche grâce à des moyens qui font sens avec celle-ci. Il est par exemple courant dans la recherche en médiation culturelle d’utiliser des questionnaires adressés aux participant·e·s d’actions de médiation[8]. Si cela ne fait pas partie de ma pratique d’utiliser de façon systématique de tels questionnaires, ils seront d’un intérêt limité. Il me sera plus utile de développer des modes d’attention aux visiteur·euses que je pourrai améliorer dans ma pratique sur le long terme.

Le champ d’application de ma recherche est restreint à ma propre pratique. Une autre médiatrice, par exemple différemment située socialement, aura une autre analyse d’un contexte institutionnel similaire ainsi que d’autres solutions pédagogiques à y apporter[9]. Cependant, ma propre recherche, explicitant les spécificités de mon contexte et de mon propre positionnement social peut faire écho (en accord et/ou en opposition) aux réalités d’autres médiateur·rices ou travailleur·ses institutionnels et servir à leurs propres recherches ou pratiques.

1. Des publics instrumentalisés pour donner une image émancipatrice de l’institution

Le collectif microsillons (Olivier Desvoignes et Marianne Guarino-Huet) a collecté des images représentant des actions de médiation culturelle auprès de 32 institutions d’art contemporain en Suisse et au Lichtenstein entre 2006 et 2012. Iels ont constaté une différence entre les vues d’expositions, sans visiteur·euses, cadrées de façon symétrique, et les images représentant la médiation culturelle, prises souvent de biais afin de montrer un nombre élevé de participant·es[10]. Dans ces images, la médiation culturelle transgresse les normes institutionnelles, en y introduisant notamment des groupes, de la saleté ou du bruit, mais apporte également à l’institution la vie qui lui fait défaut[11]. Iels concluent que ces images visent à convaincre que les musées d’art sont des lieux démocratiques[12]. Cependant, en circonscrivant de façon contrôlée ces missions démocratiques à la médiation culturelle, microsillons démontre que les musées reproduisent un « statu quo institutionnel » qui leur permet avant tout de rester élitistes sauf dans des espaces dédiés[13]. La médiation est un « autre intérieur » (en apparence célébré) au sein de l’institution[14]. Ceci fait écho au travail de David Stevenson selon lequel les institutions culturelles inventent la figure du « non-participant », un individu qui ne fréquenterait pas les organisations culturelles publiques et que ces dernières auraient pour mission de conquérir et d’éduquer. Selon Stevenson, cette figure permet aux organisations culturelles de demander des fonds publics, leur mission étant de faire participer des individus à une vie culturelle dont iels seraient prétendument isolé·es. Cette opposition entre habitué·es (qui ne sont pas représenté·es dans la communication institutionnelle), et non-habitué·es (associé·es à la médiation) se fait au détriment des seconds.

Pour microsillons, les publics de la médiation culturelle rendent le musée vivant, on peut aussi comprendre que c’est le musée qui les rend actifs. Cette idée est particulièrement présente dans une image souvent utilisée par les musées : un·e participant·e qui lève la main. Ce trope éducatif est employé, dans le contexte français, à la fois par des institutions publiques (Figure 1)[15], et des organisations privées (Figure 2)[16]. Sur les 23 Frac (Fonds régional d’art contemporain) qui existent en France, 22 d’entre eux possèdent une telle image sur leurs réseaux sociaux (Facebook ou Instagram) (Figure 1)[17]. Sur les figures 1 et 2, je note la présence de personnes que je perçois comme non-blanches, ce qui n’est pas anodin si on considère que ces images visent à convaincre que l’organisation joue un rôle social[18]. Stevenson a démontré que la figure du supposé non-participant est associée à des marqueurs sociaux qui désignent de façon arbitraire et discriminante certains groupes comme ayant besoin des services de médiation culturelle[19].

Les scènes éducatives présentées dans ces images affichent une pédagogie basée sur de bonnes et mauvaises réponses arbitrées par une figure enseignante qui accorde aux participant·es la possibilité de s’exprimer. Une telle pédagogie renforce un clivage entre celles et ceux qui savent et celles et ceux qui ne savent pas, ce qui peut amener les deuxièmes à se sentir exclus. Dans ces photographies, le fait de lever la main ou d’avoir l’air d’écouter intensément est présenté comme un indice que les participant·es sont réellement impliqué·es. Il s’agit maintenant de comprendre comment un corps visiblement mobilisé peut ainsi servir de preuve de participation.

L’historienne de l’art Claire Bishop a critiqué la façon dont certaines pratiques artistiques, qu’elle qualifie de participatives, ont été conceptualisées comme émancipatrices parce qu’elles rendent le public physiquement actif. Une telle croyance associe, selon elle, le corps à la classe ouvrière, par opposition à l’intellect qui est attaché à un statut social plus élevé[20]. Penser qu’une œuvre d’art aurait besoin d’engager physiquement les visiteur·euses s’appuie donc implicitement sur des distinctions conceptuelles discriminantes. Pour Bishop, le fait de rendre les spectateur·ices actif·ves fait partie d’un discours plus large portée par la modernité[21]. Elle cite Boris Groys pour qui la modernité est « dirigée contre la contemplation, contre la position de spectateur·ice, contre la passivité des masses paralysées par le spectacle de la vie moderne »[22]. Participer à la création d’une œuvre d’art, dans les pratiques artistiques participatives décrites par Bishop, est alors considéré comme un moyen de s’émanciper d’idéologies aliénantes (consuméristes par exemple)[23]. En opposition à l’individualité de la réception traditionnelle de l’art, les pratiques artistiques participatives sont ici perçues comme visant à créer un engagement politique collectif[24].

La médiation culturelle diffère des pratiques artistiques participatives, notamment parce qu’elle n’engage pas les publics dans la création d’une œuvre[25]. Néanmoins, les images de médiation culturelle analysées plus haut (Figures 1 & 2), répètent les hiérarchies décrites par Bishop. 

La solution proposée par Bishop consiste à abandonner toute distinction entre une position qui serait active et une autre qui serait passive. Cette distinction conduit inévitablement, selon elle, à une division entre celles et ceux qui sont capables et celles et ceux qui ne le seraient pas[26]. Bishop nuance ainsi l’emprise que les artistes, les œuvres d’art ou les institutions pourraient exercer sur les publics en alléguant une capacité critique des spectateur·ices dans toutes les situations. S’appuyant sur les idées du philosophe Jacques Rancière, elle affirme que même un·e spectateur·ice qui semblerait consommer passivement une œuvre d’art peut en fait y être impliqué·e de manière critique.

Dans Le spectateur émancipé, Rancière plaide pour une reconnaissance de l’égalité de tous·tes à interpréter les œuvres d’art. Il souligne l’intérêt d’exprimer des interprétations divergentes, ce qu’il appelle un « dissensus »[27]. Transposé dans le domaine de la médiation culturelle, ce que Rancière propose est un geste éducatif anti-éducatif : c’est seulement en présumant être égaux qu’une scène d’égalité (et de dissensus) peut émerger. L’égalité se crée parce qu’elle est supposée présente. 

Je soutiens que Bishop et Rancière ne rejettent pas réellement le dualisme actif – passif, mais en conservent uniquement le terme actif. Ils décrivent des spectateur·ices impliqué·e·s et volontaires. Bishop et Rancière continuent par là à défendre un récit héroïque de l’art et son potentiel. En tant que médiatrice culturelle, j’ai participé à de nombreuses reprises à de telles scènes de dissensus. Mais d’autres rencontres ont été moins clairement exemptes de relations de pouvoir, et il est probable que de nombreux moments perçus par moi comme des moments d’égalité n’ont pas été vécus comme tels par d’autres. Le croire peut conduire les médiateur·rices à ne pas tenir compte des inégalités en présence. Il ne suffit pas de déclarer un dualisme inadapté, il faut travailler à le défaire. L’attente qui unit la passivité, le corps et « un état de minorité »[28] est forte et l’ignorer peut entraîner sa persistance[29].

2. Une passivité codée

Afin de ne pas révoquer tacitement la notion de passivité d’emblée, il est nécessaire de la situer dans un contexte philosophique plus large, spécifiquement féministe. 

Dans ses écrits, Simone de Beauvoir développe une compréhension de la passivité comme étant conceptuellement attachée à la fois aux femmes et à l’immoralité depuis le 16ème siècle dans les textes de lois en France[30]. Dans On ne naît pas soumise, on le devient, un essai sur la philosophie de Beauvoir, Manon Garcia analyse le concept de soumission[31]. Les deux concepts sont liés, car c’est la passivité qui conduit les femmes à se soumettre aux hommes dans les textes de Beauvoir. La Boétie et Rousseau ont théorisé que les êtres humains sont naturellement libres. Dans cette perspective, choisir de se soumettre est une faute morale car cela équivaut à renoncer à sa nature humaine[32]. Ainsi, parce que les femmes se soumettent aux hommes, elles sont des êtres immoraux. Beauvoir décrit comment le destin de soumission des femmes (la construction sociale dont elles héritent et qui leur donne une voie dans la vie) est inscrite dans leur corps, principalement par la maternité[33]. Leur corps ne façonne pas un destin, il n’est que le porteur d’un destin constitué socialement puis naturalisé[34]. Dans ce contexte, la soumission des femmes est tout simplement héritée, ce n’est pas un choix, mais un donné. Pour être libre, les femmes doivent aller à l’encontre de ce qui leur est imposé. Elles ne peuvent pas prétendre que cette condition n’existe pas, elles doivent se positionner en fonction et en faire une analyse coût-bénéfice (selon le terme de Garcia). La liberté coûtera ainsi plus cher à certaines qu’à d’autres[35]

Même si l’approche de Beauvoir permet de comprendre comment la passivité et la soumission ont été codées comme féminines et immorales, l’émancipation qu’elle décrit est également portée par une force active. Le texte de Beauvoir permet par exemple d’établir une différence entre les femmes qui se libèrent de leur condition et celles dont la situation fait obstacle à leur émancipation, même si cette différence n’est pas évaluée moralement. En ce sens, toute voix active semble vouée à rejouer le dualisme actif – passif dans lequel la position passive est dévaluée comme l’indiquait Bishop.

Cependant, considérer que la capacité à agir dans le monde est historiquement et culturellement spécifique, comme le fait Beauvoir, signifie que les paramètres qui reconnaissent une action comme libre ne peuvent pas être fixés d’avance mais doivent émerger par le biais d’une analyse contextuelle[36]. Selon Saba Mahmood, les féministes occidentales utilisent une conception simplifiée de la capacité d’agir qui les empêche de comprendre comment les personnes opèrent dans d’autres contextes culturels[37]. Tout un ensemble de concepts, tels que la liberté, l’action, la passivité, la résistance, sont utilisés pour examiner la capacité d’agir[38]. Leurs significations ne peuvent être connues a priori mais doivent être modelées par la rencontre avec les personnes concernées[39]. Mahmood souligne notamment que la capacité d’agir est souvent pensée à l’échelle d’individus supposément autonomes au détriment de sa dimension relationnelle[40]

L’approche préconisée par Mahmood peut être adaptée à la médiation culturelle sur deux points. Premièrement, le regard critique doit être tourné vers le ou la médiateur·rice et les concepts qu’iel utilise pour reconnaitre et faciliter la participation du public. Deuxièmement, toute analyse de la capacité d’agir doit être contextuelle. Cette démarche apporte un changement méthodologique dans la façon dont la notion de participation est habituellement abordée. Au lieu de considérer que les participant·e·s font preuve d’une capacité personnelle à participer, il s’agit de considérer que leur participation a été rendue possible par un contexte spécifique[41]

La philosophe Sara Ahmed transpose cette idée à la notion d’espace, elle analyse comment un environnement limite ce qui peut y être fait et dit. Dans son livre Queer Phenomenology, Ahmed analyse comment les espaces sont orientés de manière à privilégier certains corps plutôt que d’autres. Par exemple, la plupart des espaces peuvent être qualifiés d’hétérosexuels dans le sens où un geste romantique échangé entre deux personnes du même sexe sera remarqué comme sortant de la norme[42]. Une grande partie des lieux en Europe privilégient également les personnes blanches[43]. Celles-ci sont généralement majoritaires, elles sont aussi entourées d’objets, voire d’autres corps, qui amplifient leurs actions et leurs capacités[44]. Ahmed conclut que « le monde lui-même est plus “impliqué” dans certains corps que dans d’autres »[45]. Lorsque les corps sont validés par l’espace dans lequel ils se trouvent, lorsqu’ils se sentent à l’aise, ils peuvent agir. Les visiteur·euses qui entrent pour la première fois dans une institution d’art contemporain ne sont pas dans un espace familier, iels ne sont pas à l’aise et s’iels ne participent pas, c’est peut-être parce que l’espace n’est pas orienté d’une manière qui leur permettrait de le faire. 

La façon dont Ahmed décrit le confort peut être utile pour examiner la position des médiateurs·rices culturel·les. Elle écrit : « Être confortable, c’est être tellement à l’aise dans son environnement qu’il est difficile de distinguer où finit son corps et où commence le monde »[46]. Les personnes détendues dans des espaces connus pensent que leur réalité est celle de tout le monde. Le confort peut avoir pour effet de réduire la capacité critique d’une personne.

L’orientation d’un espace peut influencer le déroulement du moment éducatif d’une manière qui ne peut être contrée par un individu seul. Parce qu’Ahmed associe la familiarité à un manque de perspicacité, elle sous-entend que les personnes qui se sentent mal à l’aise et qui ne sentent pas habilitées par un espace peuvent avoir une meilleure compréhension de celui-ci. Cela conduit à une réévaluation de la passivité : les participant·es silencieux·ses peuvent avoir une compréhension de l’espace institutionnel que læ médiateur·ice culturel·le ne possède pas. 

3. Des espaces de médiation centrés sur l’agentivité des personnes privilégiées

Dans cette dernière partie, je vais analyser des exemples issus de ma propre pratique de médiatrice culturelle au Frac Lorraine. Comme je l’ai abordé dans la partie précédente, il va s’agir d’analyser comment les espaces des institutions privilégient certains corps plutôt que d’autres. Je vais questionner comment les médiateur·rices sont à la fois témoins et facilitateur·ices de ces habilitations et comment iels peuvent apprendre à mieux les déchiffrer afin de potentiellement les contrer. 

Lorsque j’ai commencé à réfléchir à des moments spécifiques de ma pratique dans lesquels la passivité avait joué un rôle clé, je me suis d’abord souvenue de moments où les visiteur·euses refusaient de participer. Un refus de participer n’équivaut pas à de la passivité ; au contraire, cela peut être un acte volontaire. Je vais démontrer comment une analyse de ces refus peut amener à considérer comment la possibilité de refuser de participer est donnée à certain·e·s plutôt qu’à d’autres dans des situations données. 

Megan Boler affirme qu’il existe de nombreuses façons et raisons de rejeter l’éducation. Il peut s’agir d’une forme de résistance, par exemple, si le programme est raciste et / ou sexiste. Un rejet peut également être motivé par le désir de rester dans une zone de confort[47]. Ces deux types de rejet sont soutenus par ce que l’on peut appeler, après Boler, des émotions politisées[48]. Le premier exemple que je vais analyser a eu lieu en 2017 au Frac Lorraine. Pendant la première partie (20 minutes) d’un atelier qui accompagnait une exposition, les participant·e·s devaient décider comment accomplir collectivement une tâche simple qui devait être réalisée dans les 10 dernières secondes de la réflexion collective. Je leur proposais souvent, par exemple, de créer la forme d’un arbre sur le mur à partir de papiers collants à disposition. La deuxième partie (20 minutes) consistait en une discussion sur le déroulement de la première partie de l’atelier. Au début de l’un des ateliers, un adolescent blanc s’est mis à l’écart du groupe d’une vingtaine de personnes, indiquant clairement qu’il ne participerait pas à l’activité. Une adolescente, elle aussi blanche, est allée lui parler à plusieurs reprises, rapportant à chaque fois au reste du groupe ce qu’il avait dit. Au cours de la deuxième partie de l’atelier, elle a partagé sa détresse face à l’attitude de l’adolescent qu’elle percevait comme antisociale. Dans ce groupe, et dans tous les groupes avec lesquels j’ai réalisé cet atelier, de nombreux·ses participant·es ne parlaient pas. Mais les postures silencieuses n’ont pas été perçues par l’adolescente comme antisociales. Je ne saurai jamais pourquoi l’adolescent a refusé de participer. Néanmoins, le refus lui est apparu comme une position viable, il a sans doute ressenti la possibilité de voir son geste lu comme dissident (et non comme pathologique par exemple). L’adolescente a validé sa position, lorsqu’elle a essayé de le convaincre de rejoindre le groupe, elle a montré que, selon elle, il avait fait un choix (ce n’était pas qu’il était incapable de participer). En exprimant son désarroi, elle a prouvé que la participation de l’adolescent comptait, du moins pour elle. Les actions de l’adolescente ont été portées par des émotions genrées. Alors que je suspendais une partie de mon autorité de médiatrice culturelle en laissant les participant·es décider de la manière dont iels allaient mener l’atelier, l’adolescente a hérité de la responsabilité de veiller à la cohésion du groupe et d’encourager la participation. Cette tâche qui incombe habituellement aux éducateur·ices lui a été implicitement transférée. Les émotions politisées sont des émotions qui peuvent être analysées pour les significations sociales qu’elles contiennent. Apprendre à les lire permet aux médiateur·rices de comprendre comment un espace habilite certains corps. 

Un autre exemple, qui s’est également déroulé au Frac Lorraine, vient confirmer la place donnée à certains refus plutôt qu’à d’autres. En 2018, j’ai réalisé des ateliers avec un groupe d’étudiant·e·s. Un des ateliers portait sur une œuvre d’Annette Messager ; des proverbes sexistes brodés sur des morceaux de tissu[49]. Un étudiant est resté silencieux pendant tout l’atelier. Dans un essai rédigé dans le cadre de son cursus, il a écrit qu’il avait décidé de rester silencieux parce qu’en tant qu’homme, il voulait laisser les femmes du groupe parler[50]. Tout comme l’adolescent évoqué plus haut, l’étudiant a eu l’occasion, par son essai, de faire comprendre sa passivité de manière positive, ici comme un signe de solidarité (et non de rébellion, comme l’adolescent). Le dernier atelier portait sur une œuvre d’art de Marcia Kure, un collage qui questionne notamment l’identité des femmes noires à travers l’histoire[51]. Le même étudiant n’a pas décidé de rester silencieux en tant qu’homme blanc pour ce dernier atelier. 

Par contraste, les femmes et adolescentes que je percevais comme noires au sein des ateliers organisés pendant deux ans autour de l’œuvre de Kure, semblaient avoir moins d’options de participation. Deux fois, des participantes, silencieuses pendant une session, sont restées à la fin pour me donner des idées qui n’avaient pas été partagées dans la discussion. Les rares fois où j’ai observé un changement, c’est lorsque le nombre de participant·e·s que je percevais comme blanc·hes diminuait. La situation aurait sans doute également été différente si je n’avais pas été moi-même blanche. Les participant·es perçues comme blanc·hes se tournaient parfois vers les personnes perçues comme racisées, comme s’iels attendaient d’elles qu’elles parlent. De nombreuses autrices ont souligné la demande d’éducation adressée aux individus racisés par les personnes blanches, qui néanmoins reçoivent leurs paroles avec incrédulité, violence ou culpabilité[52].

La commissaire Yesomi Umolu explique que même si les musées « ont toujours été excluants et réservés aux privilégiés », ils se perçoivent comme des « espaces de soins au service de la société civile »[53]. Selon elle, cette situation est renforcée, comme je l’ai démontré dans la première partie de l’article, par le fait que la participation du public a été « réifiée » au XXIe siècle et par la « fiction du pouvoir émancipateur de l’objet culturel/artistique »[54]. Elle écrit qu’une étape importante consiste désormais à « reconnaître les limites de la capacité de comprendre et de la capacité à prendre soin [des musées] »[55]. Pour Umolu, chercher à attirer des groupes qui sont perçus comme exclus dans des institutions qui ne sont pas conscientes de leurs dynamiques de marginalisation ne fait qu’aggraver la violence. 

Les participant·es semblent conscient·es des limites de leur propre capacité de comprendre, évoquées par Umolu. L’étudiant suggère qu’il a moins de connaissances expérientielles que les étudiantes lorsqu’il décide de rester silencieux. Les participant·e·s blanc·hes montrent qu’iels savent qu’iels ne sont pas bien informé·es lorsqu’iels se tournent vers les participant·es racisé·es. Cependant, iels semblent ne pas être conscient·e·s des limites de leur capacité à prendre soin puisqu’iels leur font porter le fardeau de l’analyse et de l’éducation. Se préoccuper réellement des autres impliquerait de reconnaitre leur potentiel inconfort, de se responsabiliser quant à sa propre éducation et de se reconnaitre comme faisant partie du problème et potentiellement de la solution.

Lorsqu’iels craignent de ne pas réussir à impliquer les visiteur·euses, les médiateur·rices culturel·le·s placent leur propre succès au centre de leur pratique. À l’inverse, donner la possibilité de participer de manière non scénarisée (en silence par exemple), peut être une façon de contrer la contrainte potentielle de la scène éducative. L’objectif de cet article a été de changer de regard sur la notion de participation en remettant en question la binarité actif – passif qui la structure. J’ai montré ce qui dans ma pratique m’a amené à me poser ces questions. Comme je l’ai précisé au début de cet article, la recherche en pratique, spécifique à mes contextes professionnels et personnels, est influencée par les situations rencontrées sur le terrain. Ma recherche est donc amenée à évoluer au contact de nouvelles situations de médiation. Aujourd’hui, j’approche la notion de participation de façon plus large, notamment inspirée par le travail de nombreuses chercheuses et praticiennes sur la notion d’écoute[56]. Kate Lacey plaide, par exemple, en faveur d’une politique de l’écoute qui n’est pas issue d’une politique de la voix ou qui se situe à côté de celle-ci[57]. Il ne s’agit pas uniquement de « trouver sa voix », mais de considérer que celle-ci est rendue possible par un espace d’écoute qui la précède. La notion d’écoute est considérée ici comme un mode d’attention vaste qui peut se porter sur des paroles, mais aussi des silences, des gestes, des attitudes[58]

Lacey souligne que nous devons reconnaître le travail nécessaire à l’émergence d’un espace d’écoute. L’écoute exige une temporalité basée sur un processus lent. Il ne suffit pas de déclarer un lieu comme espace où l’écoute peut prendre place. Il faut être présent·es sur le long terme, écouter avec patience jusqu’à établir une confiance réciproque afin que les individus puissent s’exprimer s’iels le désirent. Il faut ensuite continuer à écouter pour que cette expression ait la possibilité de s’ajuster encore et encore. L’écoute peut être approchée comme un champ à l’intérieur duquel les médiateur·rices portent attention aux modes diversifiés d’expression des participant·es mais également à leurs capacités et volontés de réception. Si les mots ne résonnent pas chez les visiteur·ses, c’est qu’il faut trouver d’autres modes de communication et/ou de partage de l’espace.  

4. Conclusion

Même si la capacité de tous·tes à interpréter les œuvres d’art doit être affirmée, présumer une égalité de tous les moments en médiation culturelle peut conduire à ne pas questionner les mécanismes qui habilitent certaines personnes plutôt que d’autres. Les positions perçues comme passives peuvent être réhabilitées si l’on considère que celles et ceux qui ne participent pas possèdent une connaissance des espaces institutionnels et de leurs mécanismes qui échappe aux travailleur·euses de ces lieux. Cette connaissance ne peut cependant pas s’exprimer tant que le déni et la culpabilité occupent la place qui devrait être celle d’une réelle écoute. J’ai plaidé pour un réinvestissement du corps par le biais d’une attention aux émotions. Considérer la participation comme collective et soutenue par des émotions politisées permet de comprendre que les moments éducatifs sont à la fois intimement ressentis et structurés par des dynamiques de pouvoir larges.

D’autres formes de médiation explorent des modes d’être jugés passifs dans le but de défaire les hiérarchies entre les corps. Revaloriser l’écoute, par exemple, tout comme le fait d’accueillir les présences silencieuses, permet de mettre en avant des modes de relation attentifs aux autres ou à l’environnement plutôt qu’aux contenus et de donner la place à des disponibilités émotionnelles (également façonnées socialement) plus diverses.

[1] Par « médiation culturelle », j’entends toutes les activités menées par des médiateur·ices culturel·les avec les publics au sein d’une organisation d’art contemporain. Il s’agit généralement de visites des expositions et d’ateliers. 

[2] L’association entre les femmes et la passivité remonte à Aristote et Hippocrate, vers 450-300 avant J.-C. Cf. BEAUVOIR Simone de, Le deuxième sexe I, Paris : Gallimard, 1976, p. 30.

[3] CANDY Linda et Ernest EDMONDS, « Practice-based research in the creative arts: foundations and futures from the front line », Leonardo, no 51 (1): 63–69, 2018.

[4] PRINGLE Emily, « Developing the practitioner-researcher within the art museum », Tate Papers, n°29, Printemps 2018.

[5] Les théories de départ peuvent être remises en question par la pratique, elles peuvent aussi résister à l’autoréflexion et rester puissamment enracinées. Miranda Fricker parle par exemple de “perceptions chargées de théorie” (theory laden perceptions). Cf. FRICKER Miranda, Epistemic injustice: power and the ethics of knowing, Clarendon Press, 2007, p. 66.

[6] ETTORRE Elizabeth, Autoethnography as feminist method: sensitising the feminist ‘I’, London, England ; New York, New York: Routledge, 2017.

[7] Lors de ma recherche doctorale, par exemple, je me suis intéressée à la notion de distraction. N’ayant jamais porté une attention spécifique à cette notion dans ma pratique, je manquais de matière à analyser. N’étant pas liée à une institution culturelle à ce moment-là, j’ai dû reporter cette recherche à un temps futur. J’ai cependant écrit un texte théorique sur le sujet : « Queer distraction: pedagogies for a distracted reception of art » (à paraître).  

[8] Ces questionnaires sont critiqués. Les questions à choix multiples, notamment, restreignent fortement les réponses qui peuvent être données. Leur interprétation a également été remise en question. Par exemple, dans le contexte du Royaume-Uni, David Stevenson analyse que lorsqu’une personne répond « pas pour les gens comme moi » pour expliquer la non-fréquentation d’un lieu culturel, cela est interprété comme une « barrière psychologique » et non comme un échec de l’institution à être attrayante. Cf. STEVENSON David, Understanding the problem of cultural non-participation: discursive structures, articulatory practice and cultural domination, Thèse de doctorat, Queen Margaret University, Édimbourg, 2016, p. 94. Je considère que remplir un questionnaire est une forme de travail qui ne fait pas partie de l’accord tacite qui existe entre médiateur·rices et publics et c’est donc un outil de recherche qui est extérieur à la pratique. Cf. PRINGLE, Emily, « Revisiting evaluation », Art Education Research 4 (2) : 1–9, 2010 ; SMALL, Mario L et Jenna M COOK, « Using interviews to understand why: challenges and strategies in the study of motivated action », Sociological Methods & Research, mars 2021.  

[9] Les pratiques éducatives ne sont pas uniquement liées au positionnement social des praticiennes. Elles peuvent être liées à des stratégies personnelles. Certaines personnes ne se sentent pas à l’aise avec la confrontation, d’autres aiment utiliser l’humour, etc. 

[10] DESVOIGNES Olivier, GUARINO-HUET Marianne, « Un musée vivant ? L’autre institution d’art contemporain produite dans les représentations de la médiation », (MÖRSCH, Carmen dir.), Representing art education. On the representation of pedagogical work in the art field, Vienne : Zaglossus, 2017, pp. 91–93.

[11] Ibid., p. 83.

[12] Ibid., p. 133.

[13] Ibid., p. 134.

[14] Ibid., p. 83.

[15] Frac Lorraine, Ce weekend pour les kids, <https://www.facebook.com/fraclorraine/photos/3509110415800121>, Consulté en aout 2022. 

[16] Lafayette Anticipations, Documenter l’art contemporain : de la création à la réception, <https://www.lafayetteanticipations.com/fr/manifestation/documenter-lart-contemporain-de-la-creation-la-reception>, Consulté en aout 2022.

[17] Données recueillies le 1er novembre 2021.

[18] J’utilise les termes « personnes que je perçois comme non-blanches » plutôt que « racisées » pour souligner ici le fait que c’est mon regard qui assigne racialement les publics représentés. Mes recherches portent sur la façon dont les institutions artistiques racialisent les publics d’une manière qui conduit à une marginalisation des personnes racisées. Pour mener cette analyse, je catégorise les individus en fonction de leur race, de leur classe et de leur genre perçus par moi. Il y a donc deux regards racialisant en jeu ici, un regard institutionnel et le mien en tant que chercheuse, analysant et répétant ainsi le regard racialisant de l’institution. Le terme « racisé », qui sera utilisé plus tard dans le texte, a été utilisé pour la première fois par Colette Guillaumin ; il est entré dans le dictionnaire en 2019 pour signifier « personne qui fait l’expérience du racisme » (dictionnaire Robert). Cf. GUILLAUMIN Colette, L’idéologie raciste : genèse et langage actuel, Paris : Mouton, 1972 ; MAZOUZ, Sarah, Race, Paris : Anamosa, 2020.

[19] STEVENSON, Op. cit., p. 205.

[20] BISHOP Claire, Artificial hells: participatory art and the politics of spectatorship, Londres : Verso, 2012, p. 38.

[21] Ibid., p. 275.

[22] GROYS Boris, « Comrades of time», e-flux Journal, no 11, Décembre 2009.

[23] BISHOP, Op. cit., p. 275.

[24] Ibid., p. 275. Le « spectre d’implication du public » (audience involvement spectrum) est un autre exemple de la manière dont les pratiques artistiques participatives sont perçues comme engageant mieux les publics en les rendant actifs. Il mesure l’implication des publics comme une progression de la position de spectateur·ice à la co-création (spectating to co-creation). Cf. BROWN Alan S., NOVAK Jennifer L., « Getting in on the act: how arts groups are creating opportunities for active participation », Focus – The James Irvine Foundation, Wolfbrown, Octobre 2011, p. 16. 

[25] Dans le contexte français, le terme « pratiques de co-création » est également utilisé. Cf. POULIN Céline, PRESTON Marie (dir.), Co-création, Paris : Éditions Empire, 2019.

[26] BISHOP, Op. cit., p. 38.

[27] RANCIERE Jacques, Le spectateur émancipé, Paris : La Fabrique, 2008, p. 55.

[28] RANCIERE, Op. cit., p. 48.

[29] Rancière définit l’émancipation comme « la sortie d’un état de minorité ». Cf. RANCIERE, Op. cit., p. 48.

[30] BEAUVOIR, Op. cit., p. 99.

[31] GARCIA Manon, On ne naît pas soumise, on le devient, Paris : Climats, 2019, pt. 2229.

[32] Ibid., pt. 2229.

[33] BEAUVOIR, Op. cit., pp. 38–39.

[34] GARCIA, Op. cit., pt. 1751.

[35] BEAUVOIR, Op. cit., p. 143.

[36] MAHMOOD Saba, Politics of piety: the Islamic revival and the feminist subject, Princeton : Princeton University Press, 2012, p. 14.

[37] Ibid., p. 7. 

[38] Vivian May développe une position similaire. Elle écrit que les conceptions féministes occidentales peuvent appauvrir l’analyse du pouvoir en interprétant des actions comme conformistes parce qu’elles ne résistent pas de manière reconnaissable. Cf. MAY Vivian, Pursuing intersectionality, unsettling dominant imaginaries, Londres : Routledge, 2015, p. 220. 

[39] MAHMOOD, Op. cit., p. 36.

[40] MAHMOOD, Op. cit., pp. 7 ; 13.

[41] Cette approche se retrouve dans la notion de « barrières à la participation culturelle ». L’idée que des barrières existent n’est pas nécessairement fausse (manquer de temps et manquer d’argent impactent l’utilisation du temps des loisirs), mais elle transpose un problème structurel sur les individus. Cf. STEVENSON, Op. cit., p. 137.

[42] AHMED, Sara, Queer phenomenology: orientations, objects, others, Durham : Duke University Press, 2006, p. 9.

[43] Ibid., p. 129.

[44] Ibid., p. 132.

[45] Ibid., p. 159. Le texte original est : « the world itself is more ‘involved’ in some bodies than in others ». Traduction de l’autrice.

[46] Ibid., p. 134. Le texte original est : « To be comfortable is to be so at ease with one’s environment that it is hard to distinguish where one’s body ends and the world begins ». Traduction de l’autrice.

[47] BOLER Megan, Feeling power: emotions and education, New York : Routledge, 1999, p. 1.

[48] Ibid., p. 108.

[49] Annette Messager, Ma collection de proverbes, 1974. Collection 49 Nord 6 Est – Frac Lorraine.

[50] Megan Boler analyse la manière dont l’auto-divulgation (ici, l’affirmation d’être un homme blanc hétérosexuel ayant des privilèges) peut permettre de se réaffirmer. Elle écrit que lorsque la conversation met en avant les expériences des groupes marginalisés, ceux qui ont traditionnellement été au centre développent des moyens créatifs pour réaffirmer leur centralité. Mon objectif n’est pas d’accuser le jeune homme. Les comportements individuels sont analysés pour ce qu’ils révèlent des inégalités structurelles. Cf. BOLER, Op. cit., p. 10.

[51] Marcia Kure, Ethnographica IV, 2014. Collection 49 Nord 6 Est – Frac Lorraine. Des images de la série sont visibles à l’adresse suivante : <https://collection.fraclorraine.org/collection/print/873?lang=fr>, Consulté en Aout 2022.

[52] EDDO-LODGE Reni, Le racisme est un problème de blancs, trad. MAZOYER Renaud, Paris : Autrement, 2018, pp. 6–12 ; HOOKS bell, Apprendre à transgresser, trad. PORTRON Margaux, Paris : Syllepse, 2019, p. 44.

[53] UMOLU Yesomi, « On the limits of care and knowledge: 15 points museums must understand to dismantle structural injustice », Artnet, 25 juin 2020. Le texte original est : « have always been exclusionary, and for the privileged », « spaces of care in service of civic society ». Traduction de l’autrice.

[54] Ibid. Le texte original est : « fiction of the emancipatory power of the cultural/art object ». Traduction de l’autrice.

[55] Ibid. Le texte original est : « acknowledge the limits of [museums’] knowing and caretaking ». Traduction de l’autrice.

[56] Dans le domaine de la médiation culturelle, Janna Graham analyse comment les voix parlantes se voient attribuer plus d’agentivité que les pratiques d’écoute dans l’art contemporain. Elle place les pratiques d’écoute au centre de sa propre pratique éducative. Cf. GRAHAM, Janna, Thinking with conditions: from public programming to radical pedagogy in and beyond contemporary art, Thèse de doctorat, Goldsmiths College University of London, 2017, pp. 117-118.

[57] Kate Lacey, ‘The labour of listening in troubled times’, Ages of receivership: on generous listening, Bâle : Institute Art Gender Nature HGK FHNW, 2022, <https://dertank.ch/en/we-explore/podcast-promise-no-promises/>, Consulté en février 2023.

[58] Le concept de silence a été analysé par de nombreuses féministes. Les pratiques de silenciation sont au centre de l’examen de Fricker. Bien qu’elle se concentre principalement sur le “défaut de crédibilité” (failure of credibility) dans lequel l’identité du locuteur rend ses paroles non crédibles, Fricker évoque également le “défaut de réciprocité” (failure of reciprocity), un “dysfonctionnement communicationnel radical” (radical communicative dysfunction) dans lequel un auditeur ne peut même pas saisir que le locuteur parle. Elle écrit que pour que les paroles d’une femme soient jugées crédibles ou non, elles doivent d’abord être entendues comme “plus que du bruit” (more than noise). Cf. FRICKER, Op. cit., pp. 140-41. Huey-li Li analyse l’importance du silence dans l’éducation également dans une perspective féministe. Cf. LI, Huey-li, “Rethinking silencing silences”, Democratic dialogue in education: troubling speech, disturbing silence, New York : P. Lang, 2004.